novembre 11, 2021
Chaque jour où des Harvard volent, c’est le jour du Souvenir
Jon Robinson
― Par Calvi Leon, journaliste à l’Initiative de journalisme local, London Free Press (Photo : Gustavo Corujo)
Des avions d’entraînement Harvard de la Seconde Guerre mondiale cloués au sol depuis des lunes peuvent retourner faire des prouesses dans le ciel grâce à des passionnés d’aviation.
15 heures de maintenance pour 1 heure de vol, plus de 10 000 pièces et 50 jours consacrés aux réparations : voilà quelques chiffres qui traduisent à peine le labeur des passionnés qui se dévouent à la restauration de ces avions patrimoniaux.
« Ces avions, c’est notre histoire », fait valoir Shane Clayton, directeur technique et président du musée et des archives de la Canadian Harvard Aircraft Association, à propos des aéronefs Harvard. « Pour les gens qui sont restés chez eux pendant la guerre, et dans les années 1950, ici au Canada, c’est la guerre qu’ils ont vue. Ils ont assurément vu des avions Harvard voler. »
Constituée de bénévoles dévoués, l’Association de Tillsonburg (au sud-est de London) redonne vie à ces avions du patrimoine canadien depuis 1985.
Le modèle Harvard était l’avion monomoteur de pointe sur lequel plus de 130 000 équipages ont été formés au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale dans le cadre du plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique : un programme d’entraînement militaire conjoint avec les nations alliées. « Les instructeurs étaient littéralement des héros méconnus », déclare M. Clayton.
« Le programme de formation s’est avéré la plus grande contribution du Canada à la Seconde Guerre mondiale parce qu’il n’a pas seulement été mis à parti par les pilotes canadiens, mais aussi par des pilotes britanniques, américains, de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, de l’Indonésie, de la Jamaïque et de l’Inde. Tout le monde venait ici pour recevoir sa formation », poursuit-il.
Piloté pour la première fois en 1938, le Harvard a été utilisé comme avion d’entraînement de 1939 à 1965. L’Association abrite huit de ces avions d’époque, ce qui en constitue la plus grande flotte en Amérique du Nord. Trois d’entre eux sont entrés en service en 1941, tandis que les cinq autres ont pris leur envol en 1952.
Reconnu pour son rugissement de moteur distinctif et sa roue de queue robuste, le Harvard n’était pas un avion facile à piloter, principalement en raison de son atterrissage difficile, indique M. Clayton. « Comme le Harvard était plutôt difficile à piloter, lorsque vous le maîtrisiez, vous pouviez pratiquement piloter n’importe quoi. »
Il estime que plus de 1000 pilotes sont décédés à la suite d’accidents survenus pendant des séances d’entraînement sur un Harvard : soit en raison de contraintes météorologiques ou de problèmes mécaniques.
Mesurant près de 9 m de long, près de 13 m d’envergure et plus de 3 m de haut, cet avion comporte un habitacle en tube d’acier, tandis que son cône de queue et ses ailes sont en aluminium monocoque. Les surfaces de commande sont recouvertes de tissu. L’avion peut voler jusqu’à quatre heures à 120 kn/h (222 km/h). « Ces avions sont essentiellement construits comme une bécosse en brique », exprime M. Clayton à la blague. « Ils sont faits pour être battus par les pilotes et résister aux dommages. »
Sous un manteau jaune vif se trouve un moteur Pratt et Whitney Wasp de 600 HP, connu sous le nom abrégé de Wasp. C’est le même moteur qui a propulsé d’autres avions de certains pilotes de légende, dont le Lockheed 10 d’Amelia Earhart.
« Aujourd’hui, il reste moins de 100 avions Harvard au Canada, dont plusieurs séjournent dans des musées. On estime que 40 à 50 de ces avions d’entraînement pourraient être restaurés pour reprendre le vol », fait remarquer M. Clayton.
Le sud-ouest de l’Ontario abritait plus de 20 écoles de pilotage pendant la Seconde Guerre mondiale, précise-t-il. À Tillsonburg, l’héritage de ces avions historiques se poursuit grâce à une quinzaine de pilotes certifiés et près de 50 bénévoles. Parmi les différentes équipes se trouvent celles chargées des activités de restauration et de maintenance, lesquelles révisent et réparent les quelque 10 000 pièces nécessaires au vol. Par exemple, chaque aile compte 107 boulons. La majeure partie de l’entretien, y compris les inspections annuelles et les révisions, se déroule l’hiver lorsque les avions sont entreposés dans les hangars.
Le coût pour piloter un Harvard est d’environ 600 $ de l’heure, fait savoir M. Clayton. Les frais de restauration, de conservation, d’exposition et de pilotage de l’avion sont assumés par les dons des membres et des visiteurs. Une grande partie du financement de l’organisme à but non lucratif provient des vols en avion offerts au public entre avril et le jour du Souvenir.
Cette année, cette journée du 11 novembre sera soulignée par le vol de trois Harvard de l’Association au-dessus du cénotaphe de l’ancien hôtel de ville de Toronto la semaine prochaine. Néanmoins, c’est chaque jour que le Harvard rend hommage aux anciens combattants canadiens qui ont servi pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. « Le beau de ces avions en vol, c’est que chaque fois que vous le voyez, c’est le jour du Souvenir », souligne fièrement M. Clayton.
Bien que les longues heures investies dans ces aéronefs puissent sembler un prix fort élevé pour les maintenir en état de marche, pour lui, on ne peut pas mettre un prix sur un héritage à partager avec les gens. « Parfois pendant l’hiver, alors que vous travaillez sur ces appareils et que les travaux ne semblent pas avancer assez vite, vous vous dites : pourquoi diable suis-je en train de faire ça? », raconte M. Clayton. Puis arrive le printemps. Les avions prennent leur envol et exécutent des prouesses devant des dizaines de milliers de personnes. Tout le monde arrête ce qu’il fait pour les regarder. « J’ai aidé à rendre tout ça possible. Voilà où se trouve la récompense. »