novembre 18, 2021

Des collisions d’hydravions dans le port de Tofino suscitent des inquiétudes

Jon Robinson

Les préoccupations de trafic croisé entre bateaux et hydravions dans le port de Tofino se sont accrues après que deux accidents y soient survenus en trois mois cette année. (Photo : Mélissa Renwick)

― Par Melissa Renwick, journaliste à l’Initiative de journalisme local, Ha-Shilth-Sa

Le 18 octobre, la collision entre un hydravion de Tofino Air et un bateau-taxi de la Première nation Ahousaht soulève des préoccupations en matière de réglementation en eau libre.

Cet incident succède à celui survenu dans le même port moins de trois mois auparavant, alors qu’un hydravion d’Atleo Air – comptant à son bord Judith Sayers, présidente du Conseil tribal Nuu-chah-nulth (NTC) – basculait après avoir heurté un banc de sable en manoeuvre de décollage. « Je subis encore les conséquences de quelques blessures physiques découlant de cet incident. Ce fut une expérience très traumatisante. »

Depuis cet événement, Mme Sayers plaide en faveur de l’adoption de changements en matière de réglementation et de normes de sécurité dans le port. « Je ne veux pas que quelqu’un d’autre ait à subir quelque chose de similaire en raison de lois inefficaces », a-t-elle fait valoir.

Ken Brown a été témoin de la collision survenue en octobre près du quai de First Street. Il est maintenant « nerveux » d’exploiter son entreprise qui offre des services de bateaux-taxis aux Ahousahts entre leur domicile sur l’île de Flores et Tofino. « J’aimerais que des mesures soient mises en place pour la sécurité », a-t-il commenté. « Les hydravions amerrissent juste dans la zone de trafic qui entre et sort d’Ahousaht et d’Opitsaht. Une solution consisterait à convenir d’une bande d’amerrisage hors des itinéraires empruntés par les bateaux. Chacun y trouverait son compte ».

Josh Ramsay, propriétaire et exploitant de Tofino Air, indique que la compagnie aérienne a analysé l’achalandage du trafic et la vitesse des bateaux dans le port pour s’assurer que ses activités se déroulaient en toute sécurité et en synergie avec les autres exploitants du port.

M. Ramsay précise que depuis l’incident ses équipages de conduite, son personnel de bureau, ainsi que ses employés d’entretien et de gestion ont reçu une formation d’urgence qui surpasse le programme de formation annuel approuvé par Transports Canada (TC).

« Tofino Air exploite des activités dans ce port depuis plus de 40 ans, et il s’agit de notre premier incident », a fait remarquer M. Ramsay. « Nous travaillons en collaboration avec les utilisateurs du port et les autorités de réglementation compétentes pour créer un port plus sécuritaire. »

Un comité local de pilotes, de pêcheurs commerciaux, d’exploitants de vols nolisés et d’utilisateurs portuaires a été formé après l’incident, selon l’Autorité portuaire de Tofino (THA). Les parties prenantes sont invitées à discuter des problèmes de sécurité par vidéoconférence.

« Tofino Air préconise l’installation d’une lumière stroboscopique activée par les aéronefs dans le port qui indiquerait leur mouvement imminent, ainsi qu’une limite de vitesse sur l’eau lors du décollage et de l’atterrissage des aéronefs », a exposé M. Ramsay.

« La THA a préséance sur les autorités fédérales au quai de Fourth Street, mais pas en ce qui concerne le trafic maritime traversant le port de Tofino ou le détroit de Clayoquot », a signalé Kevin Eckert, directeur de la THA. « Notre pouvoir se limite à peu près à sensibiliser les personnes qui utilisent nos installations. Par contre, une fois qu’elles ont quitté le quai, nous n’avons pas le droit de leur dire comment utiliser leur bateau. »

M. Eckert mentionne que la GRC et la Garde côtière canadienne ne surveillent pas le port sur une base courante pour en assurer la sécurité. « C’est une zone très fréquentée de la côte. Les choses seraient assurément mieux si quelqu’un – au moins une personne – avait un pouvoir d’action : infliger des amendes, arrêter les personnes dont les manoeuvres sur l’eau représentent un risque, etc. »

La station de la Garde côtière canadienne à Tofino a une vocation de recherche et de sauvetage. Son mandat ne concerne pas la réglementation de la circulation dans la région de Tofino, selon un porte-parole de l’agence fédérale. « Comme la plupart des ports de la côte du Pacifique, Tofino ne dispose pas d’un protocole pour gérer les allées et venues des bateaux et des aéronefs », a affirmé Transports Canada. « Les capitaines de navires et les pilotes d’aéronefs sont tenus de respecter les règlements de sécurité respectivement établis en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada et de la Loi sur l’aéronautique. »

Comme le port est considéré comme une zone « en eau libre », l’officier de la GRC à Tofino, Daniel Mcintosh, estime qu’aucune surveillance réelle ne se déroule là-bas. Bien qu’il considère que ce serait bien de pouvoir sortir plus souvent, il ne pense pas que ce soit nécessaire. « C’est comme pour les autoroutes, il n’y a pas toujours quelqu’un qui les surveille 24 h par jour. Nous faisons ce que nous pouvons quand nous le pouvons, et nous répondons ponctuellement aux plaintes et aux préoccupations. »

Les exploitants d’hydravions et TC ne prennent pas les accidents à la légère, fait savoir M. Eckert. « Qu’il y ait eu deux accidents au cours des trois derniers mois, c’est à peu près du jamais vu. Des actions ont été mises en branle. Il y a un mouvement vers l’avant. »

TC soutient que ses efforts pour « améliorer la sécurité des transports se poursuivent ». Ces efforts comprennent notamment des modifications apportées au Règlement de l’aviation canadien (RAC) en 2019, lesquelles « renforcent la sécurité des passagers et de l’équipage des hydravions ».

« Comme la sécurité est une responsabilité partagée, Transports Canada exhorte les pilotes d’hydravion à tenir compte des limites des embarcations naviguant sur l’eau avant de décoller, d’atterrir ou de se déplacer d’un point à un autre », a souligné TC. « Il est de la responsabilité du pilote de voler en toute sécurité dans toutes les conditions météorologiques. »

Après la collision d’octobre, le Bureau de la sécurité des transports (BST) du Canada a déployé une équipe d’enquêteurs à Tofino. Le porte-parole du BST, Chris Krepeski, fait état que l’enquête n’en est qu’à ses débuts, et qu’elle pourrait nécessiter environ 450 jours de travail. « Si l’enquête révèle un manquement systémique important en matière de sécurité qui nécessite une attention particulière, nous n’hésiterons pas à le communiquer avant la clôture du dossier. »

Comme ce fut le cas à Victoria, Mme Sayers est d’avis que la désignation du port de Tofino soit revue pour inclure sa vocation aéroportuaire.

« Victoria est une destination pour le trafic d’hydravions commerciaux depuis 1920, lorsque le premier vol postal est arrivé de Seattle », a énoncé Transports Canada. « À mesure de l’accroissement de l’achalandage dans le port de Victoria au cours des décennies suivantes, nos évaluations des risques nous ont amenés à reconnaître le besoin d’y réglementer plus étroitement la circulation des hydravions ».

Cela a mené à la certification de l’aéroport du port de Victoria en vertu du Règlement de l’aviation civile en 2000, confirme TC. « Le port de Victoria se révèle le premier hydroaérodrome certifié au Canada, et le seul à détenir ce type de certification au pays. »

Tofino est actuellement désigné comme hydroaérodrome.

En 2019, TC a rédigé un avis de proposition de modification (APM) à l’intention des hydroaéroports. « Nous sommes maintenant rendus aux étapes avancées de finalisation des règlements encadrant les hydroaéroports ».

Selon l’APM, une option serait d’exiger que tous les hydroaérodromes soient certifiés comme des hydroaéroports s’ils sont situés dans « la zone bâtie d’une ville ou d’un village ou s’ils offrent un service courant de transport de passagers  ».

Les deux collisions d’avions dans le port de Tofino ont impliqué des membres Nuu-chah-nulth. Mme Sayers évoque qu’elle veut s’assurer que les aéronefs s’y déplacent de la façon la plus sécuritaire qui soit, son objectif dépassant largement l’obtention d’une liste de recommandations du BST. « On constate un manque de suivi de la part de Transports Canada. Je dois dire que c’est très préoccupant. La sécurité de nos gens n’est pas négociable. Nous utilisons des bateaux-taxis et des hydravions pour nous rendre dans nos communautés. Ces moyens de transport sont tout simplement essentiels. »